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FILTRES

Utilisation, réutilisation et partage

Bien que les préparations de drogues ne soient pas toujours filtrées par les usagers de drogues injectables, elles le sont généralement pour éliminer les impuretés contenues dans la solution. Dans la plupart des pays, les filtres à cigarettes et/ou autre produits du quotidien (cotons à démaquiller, cotons tiges, cotons en boule par exemple) sont utilisés. Ces produits ne sont donc pas stériles, et peuvent ne pas être hygiéniques.

De plus, les filtres sont souvent réutilisés et/ou partagés par les usagers, pas seulement en raison d’une indisponibilité, mais surtout parce qu’ils retiennent une partie de la solution, et donc du produit actif. La rétention d’une proportion non négligeable de produit peut donc inciter les usagers à conserver leurs filtres et à les réutiliser plus tard, voire à les partager ou même les vendre (Bourgois & Shonberg, 2009;Scott, 2008; Keijzer et al., 2010).

En effet, la réutilisation des cotons et leur partage est très commun: en Ecosse, entre 56 et 66% des usagers conservent leur filtre pour un usage ultérieur, et entre 34 et 42% donne leur filtre à quelqu’un d’autre (Scott, 2008)/ Dans cinq villes américaines différentes, Hagan et al. (2010) et Needle et al. (1998) ont démontré que 54 à 56% des usagers partagent leurs cotons et que 77% d’entre eux réutilisent les leurs.

Le Sterifilt retient considérablement moins de produit actif que les autres filtres. Scott (2008) a démontré que «Le Sterifilt retient 0,02ml. Le filtre toupie retient lui 0,3ml et les filtres à cigarette et autres filtres «maison» (…) retiennent chacun une moyenne de 0,13ml». Cette faible rétention est illustrée par le peu de composants actifs retrouvés dans un filtre usagé, tel que montré dans l’illustration 1. Pour cette raison, le Stérifilt présente moins de potentiel de réutilisation, ce qui semble être confirmé par les données qualitatives (Scott, 2008 ; Keijzer et al., 2010).








Figure 1. Average amount of drug removed from used filters, shown in mg/ml of methanol which was used as a solvent for extraction (Scott, 2008)



Les risques viraux associés avec la réutilisation des filtres et leur partage

Shah et al (1996) ont détecté des anticorps du VIH, de l’ADN et/ou de l’ARN dans 18 à 36% des filtres en coton usagés qu’ils ont examinés. La majorité des études épidémiologiques effectuées ne différencie pas les filtres d’autres outils comme les récipients de chauffe et l’eau utilisée pour diluer. McCoy (1998) et Faran et.al. (1998) ont tous les deux trouvés une forte corrélation entre le partage du matériel de préparation et la transmission du VIH. Vlahov et al. (1997) cependant, ont étudié les différents outils séparément et ont démontré que les personnes séropositives avaient plus tendance à avoir partagé leurs filtres que les personnes séronégatives.

Crofts et al (2000) ont détecté la présence du virus de l’hépatite C sur 40% des filtres usagés qu’ils ont examiné. Le VHC peut rester présent et viable dans les filtres, et restera infectieux pendant une plus longue période si le filtre est empêché de sécher, par exemple en étant enroulé dans une feuille d’aluminium (Doerrbecker et al., 2013).

La corrélation entre le partage des filtres et la contamination par le VHC a été confirmée par plusieurs études épidémiologiques. Hagan et al (2001) ont étudié le partage combiné des filtres et des récipients de chauffe et ont trouvé un risque élevé de séroconversion du VHC (risque relatif ajusté de 5,9). Plusieurs cohortes ont démontré que le partage de filtres en cotons était un indicateur fort pour la séroconversion du VHC (risque relatif ajusté de 16,4 – Bruandet et al., 2006; de 2,4-Thorpe et al., 2002 et de 2,83 – Hagan et al., 2010)

Risques viraux associés à l’utilisation de seringues

L’utilisation de seringues et de filtres sont corrélées. Bien que les filtres en coton puissent être utilisés avec toutes les seringues, et que le Sterifilt soit compatible avec quasiment toutes les seringues, les filtres «toupies» peuvent seulement être utilisés avec les seringues dites Luer (à aiguille détachable). Le fait de partager des seringues Luer est associé avec un risque de contamination virale (VIH et VHC) plus élevé que lorsqu’on partage des seringues à aiguille attachée, comme les seringues à insuline (Abdala et al., 1999 ; Paintsil et al., 2010).

Ainsi, l’utilisation de filtres «toupie» ne doit pas être recommandée aux personnes qui utilisent des seringues à insuline, car la prévention des infections bactérienne ne devrait pas être plus importante que celle des infections virales.

Filtres et micro-organismes

Comme nous l’avons évoqué, la plupart des filtres de fortune retiennent une certaine quantité de liquide après injection. Comme la plupart d’entre eux sont manipulés avec les mains ou même la bouche (certaines personnes ont l’habitude de déchirer le filtre à cigarette avec les dents), ces filtres peuvent être contaminés avec des bactéries ou des champignons, comme l’a démontré Scott (2008). Les filtres humides, s’ils sont conservés dans un environnement chaud et protégé, peuvent même servir d’incubateur à des micro–organismes qui pourront donc ensuite infecter ceux qui les utiliseront. De tels filtres peuvent donc être responsables de plusieurs infections sérieuses comme des abcès, des candidoses ophtalmiques ou encore des endocardites.

Le fait de déchirer un filtre à cigarettes avec les dents est un facteur de risque pour la candidose systémique chez les usagers de drogues injectables, tel que l’ont démontré Gambotti et al. (1996). Dans la même étude, la réutilisation de filtres semblait être plus répandue chez les personnes qui étaient atteinte de candidose systémique (46%) que chez la population de contrôle (28%), bien que ça ne soit pas significatif en termes statistiques (p=0.07).

Le Sterifilt et les filtres «toupie» peuvent être adaptés à différents types de seringues sans manipulation de leur membrane, réduisant ainsi le risque de transmission bactérienne. Le Sterifilt n’élimine pas les bactéries de la solution, seuls les filtres stérilisants (0.22 microns) peuvent enlever la plupart des bactéries (Caflisch et al., 1997).

Les filtres "toupie” existent avec une membrane stérilisante. Ils peuvent donc être utilisés pour réduire les risques d’infection liés à la présence de bactéries et de champignons dans la solution. Cependant, il faut retenir que la majorité des infections bactériennes chez les usagers de drogues injectables résultent d’une auto contamination (Gordon et Lowy, 2005) et que celles-ci peuvent être prévenues par une hygiène adéquate (lavage des mains et désinfection du site d’injection) pendant la préparation de l’injection.

Les "poussières”

Les «poussières» est le nom donné à une réponse inflammatoire et pyrogène à, probablement, l’injection de bactéries (ou de parties de bactéries), d’endotoxines ou de champignons. Ces micro-organismes peuvent être morts ou vivant lorsqu’ils produisent ces réactions. Les symptômes qui se déclarent rapidement après injection sont des maux de tête, des frissons, une raideur, de la dyspnée, des palpitations et de la fièvre (Harrison & Walls, 1990). Généralement, une «poussière» dure quelques heures et disparait. Cependant, les endocardites et les septicémies peuvent avoir les mêmes symptômes; de plus, il a été démontré que les «poussières» sont un précurseur de la candidose systémique (Gambotti et al. 1996). Il est donc possible que les micro-organismes qui sont responsables de la poussée de fièvre soient également capables de provoquer une sérieuse infection. Ainsi, les personnes présentant des symptômes de «poussières» devraient être mises sous surveillance médicale.

Filtration et injection de particules insolubles

Plusieurs complications liées à l’injection de drogue dépendent du type de drogue injectée ainsi que des caractéristiques du filtre utilisé. Ainsi, certaines complications peuvent être causées par l’injection de particules insolubles dans le flux sanguin.

Celles-ci peuvent provenir des produits de coupe, comme le talc ou l’amidon (Cole et al., 2010). Ces particules sont également souvent présentes dans des concentrations et des proportions plus élevées dans des préparations pharmaceutiques qui ne sont pas conçues pour être injectées en intraveineuse, comme la méthadone, la buprénorphine (Subutex® et génériques), le méthylphénidate (Ritaline®) ou encore l’oxycodone (OxyContin®) (Hind, 1990; Rosenblum et al., 1997).

Plusieurs complications allant de bénignes à sévères sont associées à l’injection de ces corps étrangers. Sur le site d’injection, des abcès stériles, des cellulites et des ulcères peuvent apparaître, ce qui y augmente le risque d’infection à ces endroits(Del Giudice, 2004; Hahn et al., 1969).Après injection, des particules insolubles comme du talc et de la cellulose resteront intacts et passeront dans le flux sanguin, bloquant la circulation sanguine dans les vaisseaux les plus fins. Des administrations répétées peuvent donc conduire à de sévères complications pulmonaires et cardiaques, comme des embolies pulmonaires, de l’insuffisance respiratoire, des fibroses, de l’insuffisance cardiaque et des talcoses pulmonaires (Lamb and Roberts, 1972; Sieniewicz and Nidecker, 1980; Gorun et al., 2008; Marschke et al., 1975; Kringsholm and Christoffersen, 1987). La talcose se rapproche de la silicose des mineurs. Les personnes atteintes de talcose souffrent de dyspnée modérée à sévère et peuvent développer une cyanose et même mourir (Sieniewicz and Nidecker, 1980; Paré et al., 1998). Cette maladie prend entre une et plusieurs années pour se développer, mais une fois installée, les symptômes sont irréversibles et continuent de s’aggraver malgré l’arrêt de la consommation de drogue (Paré et al., 1998).

Une mauvaise technique de filtration a été présentée comme un des facteurs de risques de développement de ces complications (Jampol et al., 1981). En effet tous les filtres utilisés par les usagers de drogues injectables peuvent éliminer une partie de ces particules, mais pas avec la même efficacité.

La taille de la majorité des particules insolubles impliquées dans le développement de ces complications est située entre 9µm et 23µm, en moyenne 14µm (Abraham and Brambilla, 1980). Les filtres à cigarette, ceux les plus communément utilisés par les usagers, éliminent moins de la moitié des particules de plus de 10µm (Scott, 2002). Les filtres à seringues, spécialement créés pour l’injection de drogue, sont capable d’éliminer une large majorité de particules insolubles (Roux et al., 2011). Ces filtres ne sont pas conçus pour stériliser une solution non stérile, mais pour promouvoir l’usage unique des filtres et pour éliminer les particules de plus de 10 microns, en accord avec la Pharmacopée Européenne concernant les préparations injectables.

Le Sterifilt est un de ces filtres. Il élimine au moins 93% des particules au-dessus de 10 microns et peu ainsi réduire de manière significative les risques de contracter de sérieuses complications dues à l’injection de particules insolubles.

Dans le même temps, le Stérifilt réduit le risque de voir des particules boucher les aiguilles des seringues. Il protège également le bout de la seringue en l’empêchant de heurter le fond du récipient de chauffe. L’aiguille demeure ainsi affutée et causera moins de dommages aux veines.

Recommandations

  • Fournissez des filtres stériles en emballage individuels, adaptés à l’injection de drogues illicites et de médicaments conçus pour être pris par voie orale
  • Un nouveau filtre stérile devrait être utilisé à chaque injection. Les filtres devraient donc être distribués dans les quantités demandées par les usagers, et ce sans restriction de nombre.
  • Découragez la réutilisation des filtres. La distribution de filtres qui ne retiennent quasiment aucun produit actif peut encourager les usagers à abandonner cette pratique.
  • Au lieu de réutiliser les cotons, certaines personnes accepteront de mettre de côté un peu de produit (poudre ou morceau de cachet) pour diminuer le syndrome de manque
  • Encouragez les usagers à utiliser les filtres avec les plus petits pores possibles pour éviter les dommages provoqués par l’injection de particules insolubles.
  • Encouragez les usagers à se tourner vers des drogues causant le moins de dommages possible. Parfois, la même drogue, mais dans une marque différente, peut contenir moins d’excipients dangereux. Dans ce cas, cette drogue devrait être privilégiée
  • Informez les usagers des dommages associés à la non utilisation de filtres, l’utilisation de filtres non stériles, la manipulation des filtres et leur réutilisation, voire leur partage.
  • Fournissez également d’autres outils de réduction des risques comme des seringues, des récipients de chauffe, des acidifiants, de l’eau stérile pour préparation injectable, etc…


Références

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